La ville de Bukavu à l’Est de la RD Congo et le phénomène «bébés-soldats »

Espoir KWIBE Roger et Anne NABINTU BIRATO

Contexte

L’occupation des certaines entités de la République Démocratique du Congo (RDC) par le M23 (Mouvement du 23 mars) a débuté dans la nuit du 12 au 13 juin 2022, lorsque la cité de Bunagana est tombée sous le contrôle de ce mouvement militaire. Trois ans plus tard, le M23 a continué sa progression en occupant d’autres grandes agglomérations dans différents territoires du Nord-Kivu, culminant avec la prise de la ville de Goma, chef-lieu de la province, le 27 janvier 2025.

L’arrivée inattendue des éléments de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) à Goma, en dépit de la présence de multiples forces militaires nationales et internationales qui avaient établies leur dernier verrou, a entraîné d’intenses affrontements. Ces combats ont causé plus de 5000 morts, et des milliers de corps sans vie, souvent en décomposition, ont été rapportés dans plusieurs rues de la ville de Goma.

Dans le but d’occuper l’aéroport de Kavumu, le mouvement a poursuivi son avancée jusqu’à conquérir plusieurs entités de la province du Sud-Kivu, à partir de la cité de Minova. Deux mois avant son arrivée, la cité de Kavumu était en proie à une insécurité intense, causée par des recrues des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), dont l’unité est connue sous le nom de « Guépards ». Cette situation a entraîné un déplacement massif de la population vers les périphéries de la ville de Bukavu. Face à cette réalité quotidienne, les éléments de l’AFC/M23 se sont adressés à la population par voie médiatique, leur promettant de venir les libérer de cette insécurité engendrée par les FARDC, dits les Guépards. Environ 281 de ces derniers ont été capturés et emprisonnés à la prison centrale de Bukavu. A quelques jours de leur procès au chapiteau de Labotte, l’aéroport de Kavumu est tombé entre les mains de l’AFC/M23, comme promis. Cet incident a entraîné l’arrêt de toutes les instances étatiques, et les autorités politico-administratives de la province ont commencé à quitter la ville de Bukavu, d’où l’expression populaire « la province est dans la rue ».

Suite à l’évolution précaire de la situation sécuritaire et après la prise de l’aéroport de Kavumu par les éléments de l’AFC/M23, l’Archevêque métropolitain de Bukavu a adressé une lettre d’alerte au Gouverneur de la province du Sud-Kivu, lui demandant d’éviter tout affrontement et de ne pas transformer la ville de Bukavu en champ de bataille. Cet appel visait à épargner la population de Bukavu d’un carnage similaire à celui vécu à Goma lors de la prise de cette ville par les troupes de l’AFC/M23. Suite à cette initiative de l’Archevêque, la société civile a réitéré la même demande auprès des autorités militaires. Cette intervention, sans aucun effort, a-t-elle résolu le problème en soi ? La situation serait peut-être différente aujourd’hui si certaines mesures avaient été prises, non seulement pour l’évacuation des militaires et de leurs dépendants, mais également pour le transfert des détenus clés de la prison centrale de la ville de Bukavu. Les FARDC et leurs alliés ont répondu favorablement à l’appel en se retirant deux jours avant la prise de la ville de Bukavu par l’AFC/M23. Ces deux jours ont constitué une expérience infernale pour la population, marquée par l’apparition des enfants avec les armes, phénomène que nous appelons « bébéssoldats».

Brève présentation des principaux camps militaires

Depuis bien d’années, la ville de Bukavu abrite plusieurs camps militaires des FARDC dont les principaux sont ceux de SAIO et TP. Ces camps comprennent des maisons d’habitation pour les militaires et leurs familles, des maisons de détention provisoire, des écoles et des structures sanitaires. Les armes et munitions sont stockées dans divers dépôts au sein de ces installations. Les enfants des militaires fréquentent principalement ces écoles, tandis que d’autres étudient dans des établissements environnants.

Le 14 février 2025, après avoir reçu l’ordre d’évacuer les différents camps militaires et la ville de Bukavu, les militaires FARDC se sont précipités à quitter la ville dans l’après-midi. Cette évacuation spontanée a perturbé la logistique habituelle. En fuyant, certains militaires ont été observés en train de s’emparer des véhicules, des motos et des bajaj, profitant des opportunités qui se présentaient à eux. Ces actes de pillage ont eu un impact significatif sur la vie des nombreux chauffeurs, la plupart n’étant pas propriétaires des moyens de transport volés. Un tel comportement ne saurait être justifié, même dans une situation de panique.

En raison de cette précipitation, les FARDC et leurs alliés, craignant d’être surpris par l’arrivée des rebelles, n’ont pas pu évacuer leurs dépendants, qui ont finalement trouvé refuge parmi la population civile. Si cette évacuation n’avait pas été aussi précipitée, les autorités auraient eu le temps de prendre des mesures pour protéger les objets militaires, afin d’éviter toute insécurité. En conséquence, de nombreuses armes et munitions abandonnées dans les camps et dans les rues ont été récupérées par des jeunes, dont certains étaient des enfants de militaires. D’où l’origine des bébés-soldats.

De plus, dans la nuit qui a suivi, tous les détenus de la prison centrale de Bukavu, y compris des criminel, ont réussi à s’évader, facilitant ainsi la collecte d’armes trouvées ici et là. Ces deux groupes de personnes ont contribué à créer une insécurité marquée pendant deux jours avant l’arrivée des éléments de l’AFC/M23.

Rôles des bébés-soldats

La fuite des autorités politico-administratives et militaires a transformé la ville de Bukavu en un espace où régnaient des électrons libres, permettant à quiconque de se déplacer sans aucune responsabilité. Dans ce contexte chaotique, des événements inattendus se sont produits, notamment l’auto-proclamation d’un gouverneur par un individu anonyme et l’apparition de bébés soldats dans les rues.

Des enfants de militaires, profitant de l’absence d’autorités pour contrôler la ville et les armes abandonnées, se sont comportés comme des électrons libres, utilisant des armes et portant des tenues militaires. Nombre d’entre eux, armés, ont tenté de jouer les héros en prétendant assurer la sécurité de la population, tandis que d’autres considéraient la situation comme un jeu. Cependant, leurs actions n’ont pas contribué à la sécurité des habitants. Dès le matin du 15 février 2025, des coups de feu ont retenti dans plusieurs avenues, forçant la population à se terrer chez elle. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montraient des enfants d’une dizaine d’années manipulant des armes et tirant des coups de sommation.

Ces enfants soldats ont appelé leurs camarades à les rejoindre pour protéger Bukavu contre l’invasion des troupes de l’AFC/M23. Certains enfants civils ont répondu à cet appel, et le mouvement s’est étendu autour du camp militaire SAIO, engendrant des actes inciviques et immoraux qui ont suscité des interrogations sur la responsabilité de leurs parents. La peur et l’insécurité générées par ces bébés soldats ont conduit certains habitants à maudire leur existence.

Le 15 février 2025, un groupe bébés-soldats a envahi un terrain de football à Mukukwe, cherchant à sensibiliser d’autres enfants à la manipulation d’armes. Une somme de 1000 FC était exigée pour participer à cette formation, soulevant des questions sur les intentions derrière cette initiative. Pendant ce temps, d’autres enfants profitaient de la situation pour cambrioler des boutiques et kiosques ciblés.

La présence de ces bébés soldats a provoqué la colère des adultes, qui se sont organisés pour traquer ces enfants armés. La peur de l’arrivée des rebelles, combinée à la domination des bébés soldats, a modifié l’opinion des habitants sur l’AFC/M23, qui étaient perçus comme des libérateurs, malgré la conscience que leur arrivée ne serait pas pour le bien commun.

Alors que certains bébés-soldats manipulaient des armes, d’autres facilitaient des scènes de pillage, notamment dans les communes de Kadutu et Bagira. Les tirs retentissants étaient perçus différemment par la population : certains cherchaient refuge, tandis que d’autres considéraient ces bruits comme un divertissement, se livrant à des actes de vandalisme.

Le matin du 16 février 2025, les troupes de l’AFC/M23 sont entrées dans Bukavu, prenant des positions stratégiques. Un premier meeting a été organisé pour demander à la population de rester chez elle. Les bébés-soldats, qui continuaient à jouer avec les armes, sont devenus des cibles pour les rebelles. Leur manque d’expérience a conduit à leur abattage, suscitant une grande indignation parmi la population. Les témoignages rapportent que ceux qui refusaient de rendre les armes étaient abattus. Ces crimes contre les bébés-soldats ont été condamnés par d’aucuns, dont les Nations-Unies.

Perception des parents sur la situation des bébés-soldats

La situation sécuritaire avant, pendant et après la prise de la ville de Bukavu par les troupes de l’AFC/M23 a suscité des perceptions divergentes parmi les parents civils. Si la majorité d’entre eux se sont indignés du comportement des bébés-soldats, d’autres ont choisi d’abandonner leurs enfants impliqués dans ces actes. Cet abandon s’est manifesté par l’attitude de certains parents qui ont quitté la ville en laissant leurs enfants derrière eux, tandis que d’autres ont nié tout lien parental.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet abandon. Certains parents se sont sentis humiliés par les actes de leurs enfants, considérant cela comme un signe d’irresponsabilité. Cette situation a engendré un sentiment de regret parmi les habitants, qui ont été contraints de rester chez eux pendant environ deux jours. D’autres parents ont abandonné leurs enfants par crainte des conséquences de leurs actes, redoutant la justice populaire qui pourrait s’en prendre aux familles des bébés-soldats, ou craignant d’être interpellés par les nouvelles autorités militaires lors des opérations de ratissage.

Les événements survenus soulèvent des questions sur l’état psychologique des enfants non abattus par les rebelles de l’AFC/M23 et abandonnés par leurs parents. Comment sont-ils perçus dans la société ? Quel rôle jouent-ils pendant cette période de prise de la ville par les rebelles ? Ce sont des questions qui méritent d’être explorées.

Les enfants soldats ont joué un rôle crucial dans les événements précédant l’arrivée des rebelles de l’AFC/M23. Bien que leurs actions aient été largement condamnées, elles ont mis en lumière les responsabilités des autorités politico-militaires qui ont abandonné la ville, ainsi que celles de leurs parents. Sur le plan micro-économique, les activités économiques locales ont subi d’énormes perturbations durant cette période. De nombreux ménages ont perdu leurs économies à cause des pillages orchestrés par ces bébés-soldats, ce qui a considérablement réduit les activités commerciales dans la ville de Bukavu.

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